Comprendre et gérer ses émotions

Comprendre ses émotions, c'est déjà commencer à se libérer. Comme on l'a vu dans l'article précédent "Les émotions", on nous apprend depuis l'enfance qu'il existe des émotions "positives" et des émotions "négatives". Les premières seraient à cultiver — joie, amour, gratitude, et les secondes à éviter — peur, colère, tristesse. Mais à force de vouloir trier nos émotions comme on trierait des vêtements, on a appris à refouler tout ce qui ne "fait pas bien".

ÉMOTIONS

Samira DARKAOUI

10/15/20256 min read

a woman with a hand on her head and a smile on her face
a woman with a hand on her head and a smile on her face

Comprendre et gérer ses émotions

Comprendre ses émotions, c'est déjà commencer à se libérer.

Comme on l'a vu dans l'article précédent "Les émotions", on nous apprend depuis l'enfance qu'il existe des émotions "positives" et des émotions "négatives".
Les premières seraient à cultiver — joie, amour, gratitude, et les secondes à éviter — peur, colère, tristesse.
Mais à force de vouloir trier nos émotions comme on trierait des vêtements, on a appris à refouler tout ce qui ne "fait pas bien".

Pourquoi refoule-t-on certaines émotions ?

Tout simplement parce qu'on s'y identifie.
Lorsqu'une émotion dite "négative" surgit, on croit qu'elle dit quelque chose de nous.
"Je ressens de la colère, donc je suis une mauvaise personne."
"Je me sens triste, donc je suis faible."

Mais l'émotion ne dit pas qui on est.
Elle dit ce qui se passe en nous.

Être triste, ce n'est pas être la tristesse.
C'est ressentir un mouvement intérieur qui signale qu'un besoin profond n'est pas nourri.

On comprend maintenant pourquoi il est plus juste de parler d'émotions agréables et désagréables, plutôt que de les juger positives ou négatives.
On sort ainsi du jugement des émotions, ce qui facilite le non-jugement de soi.

Il ne s'agit donc pas d'être une "bonne" ou une "mauvaise" personne, mais simplement d'être vrai — d'accepter ce qui vit en soi, sans se juger.

Le piège du "vouloir être quelqu'un de bien".

Plus on cherche à "bien faire" ou à "être quelqu'un de bien", plus on agit selon le regard des autres plutôt que selon sa vérité intérieure. Et plus on agit ainsi, plus on se trahit soi-même.
On reste enfermé dans une vision dualiste : on croit qu'en agissant "comme il faut", en suivant les attentes des autres, on finira récompensé.

Cela ne rappelle-t-il pas quelque chose ?
"Sois sage et je t'achèterai des bonbons."
"Travaille bien à l'école et tu auras ton jeu."
"Je ne t'aime pas quand tu n'es pas gentil."

Ce conditionnement nous fait croire qu'en "faisant bien les choses" et en "étant de bonnes personnes", on aura la vie que l'on souhaite.
C'est comme si l'on cherchait à négocier avec la vie, comme autrefois, enfant, avec nos parents, pour obtenir ce qu'on veut (amour, attention, cadeaux...).
C'est ignorer que la vie n'obéit pas à ces règles : elle comporte toujours une part d'inconnu, de douleur et d'effort, qu'on ne peut ni changer ni contrôler.

Sortir d'une vision dualiste, c'est accepter ces polarités et accueillir l'inconnu sans le fuir.

Car vouloir à tout prix être reconnu, aimé, ou validé, c'est tenter de contrôler l'image que l'autre a de nous.
Ce besoin de contrôle nous coupe de la spontanéité, de l'authenticité, et finit par renforcer ce que l'on cherche à fuir : le rejet, la honte, la culpabilité... Et donc "la mauvaise personne".

"À vouloir paraître fort ou gentil, on oublie d'être juste".

En sortant de cette quête d'approbation, on commence enfin à écouter ce que nos émotions cherchent à nous dire.

L'intensité émotionnelle : un indicateur de valeur

Une émotion nous informe qu'il se passe quelque chose d'important pour nous.
Plus cette chose a de la valeur, plus l'émotion est intense.

Prenons un exemple simple : la tristesse.
Perdre un stylo ne provoque pas la même ressenti que perdre un emploi, ou un être cher.
L'intensité de la tristesse révèle le degré d'attachement, la valeur symbolique, l'importance affective que l'on accorde à ce que l'on perd.

C'est tout aussi vrai pour la joie :
Retrouver un ami procure une joie douce, mais revoir un proche disparu depuis dix ans provoque une joie bouleversante.
Dans les deux cas, c'est la même émotion, mais l'intensité est différente.

Ainsi, nos émotions mesurent la place qu'occupe chaque chose dans notre coeur.

Aussi, lorsqu'une émotion n'est pas reconnue, elle ne disparaît pas. Elle reste en nous, silencieuse, jusqu'à ce que son intensité augmente. Peu à peu, elle cherche à se faire entendre, parfois jusqu'à l'implosion.

Une émotion ignorée finit toujours par réclamer notre attention : elle vient nous rappeler non seulement ce qui a de la valeur pour nous, mais aussi ce qui, en nous, n'a pas encore été entendu ni reconnu.

Le message de l'émotion

Une émotion n'est pas un bug de notre système.
C'est une information : un signal que quelque chose de significatif est en train de se jouer :

  • J'aime/je n'aime pas

  • Danger/sécurité

  • Je veux/je ne veux pas

  • Je comprends/je ne comprends pas


Lorsque le corps perçoit un danger, il déclenche une réaction :
Libération d'adrénaline, tension musculaire, accélération du rythme cardiaque.
C'est le mécanisme du stress.
Il sert à préparer le corps à agir :

  • Fuir pour se protéger

  • Attaquer pour se défendre

  • Se figer (faire le mort), pour éviter d'être repéré par une menace.

Une fois l'action posée, et la situation dangereuse surmontée, le corps retrouve son calme.

Mais parfois, l'émotion persiste.
Pourquoi ?

  1. Soit parce que le danger était réel, et la situation vécue est traumatique. Il est important alors de consulter un médecin spécialisé dans le trouble de stress post-traumatique.

  2. Soit parce que la situation vécue est perçue comme dangereuse, mais le danger n'était pas réel.

Notre esprit entretient alors une illusion de danger — une peur héritée du passé, d'une expérience, ou d'une croyance encore active.
C'est ici qu'on rumine, qu'on se trouve coincé dans notre labyrinthe mentale et émotionnel.

Les illusions émotionnelles

Les émotions ne mentent pas : elles disent toujours quelque chose de vrai, mais pas forcément ce qui nous arrange dans notre besoin d'avoir raison.
Ce qu'elles disent est parfois vrai sur nous, et non sur le monde.

  • Illusion de danger : On a peur de dévoiler ses sentiments à l'autre. En réalité on ne risque rien. C'est une peur héritée d'une ancienne blessure de jugement ou de rejet.

  • Illusion du bonheur : L'autre nous aime, on se sent tout à coup important et complet. Là encore, c'est une quête de reconnaissance extérieure pour combler un vide intérieur.


Dans les deux cas, l'émotion pointe vers un besoin non reconnu : être en sécurité, être vu, être aimé, être légitime...
Et c'est à partir de là qu'on commence le travail intérieur.

Les passions tristes selon Spinoza

Le philosophe Spinoza parlait de "passions tristes" pour désigner ces émotions qui diminuent notre puissance d'agir, notre capacité à nous sentir vivants et libres.
Elles naissent quand on remet son bonheur entre les mains d'une cause extérieure :
Une personne, une situation, un résultat.

"Celui qui se croit libre, c'est celui qui ignore les causes qui le déterminent."
Spinoza

Autrement dit, tant qu'on croit que l'autre est la cause de notre bonheur ou de notre souffrance, on perd en liberté intérieure.

Spinoza ne dit pas qu'il faut supprimer les émotions, mais comprendre leurs causes pour ne plus en être prisonnier.
Une fois comprises, les passions tristes deviennent des forces conscientes : elles cessent de nous posséder et nous aident à traverser la vie avec plus de lucidité.

De la réaction impulsive à la régulation

Réguler une émotion, ce n'est pas la dompter.
C'est l'écouter et la comprendre... avant d'agir.

Voici une manière simple de le faire :

  1. J'observe. Je prends un temps pour respirer et sentir ce qui se passe en moi.

  2. J'identifie et j'accueille sans jugement. Je reconnais l'émotion présente.

  3. Je questionne. Que vient-elle me dire ? Quelle peur, quel besoin ou quelle valeur touche-t-elle ?

  4. Je choisis. J'agis ensuite selon ce qui est juste pour moi et pour la situation réelle.

Ce processus apaise le système nerveux.
La respiration et l'observation activent le cortex préfrontal, la zone du cerveau qui régule les impulsions et la peur.

C'est une manière de dire à son esprit :
"J'ai reçu le message, il n'y a pas de danger, c'est bon je gère, tout va bien !"

C'est ainsi que peu à peu, on transforme les croyances limitantes en croyances constructives, et que l'émotion cesse d'être un obstacle pour devenir un guide.

En conclusion

Comprendre et gérer ses émotions, c'est sortir du contrôle et de la lutte intérieure.
C'est cesser de voir ses émotions comme des faiblesses, et les reconnaître comme des messagères de vérité.

Car au fond, gérer ses émotions, c'est apprendre à se connaître.
Et se connaître, c'est retrouver son pouvoir.

C'est ainsi que la connaissance de soi devient une véritable liberté intérieure : celle d'être en paix avec ce qui nous traverse.

"La paix intérieure n'est pas l'absence d'émotions, mais la clarté avec laquelle on les traverse".